© A.F., novembre 1957
Au silence s’ajoute l’obscurité.
Les aquarelles sont toujours là, accrochées un peu au hasard sur les murs du couloir d’entrée. Souvenirs de rares confidences — « Lui, c’était un artiste », « Ta tante aimait bien dessiner et peindre, moi je n’ai jamais vraiment su », … Quais, clochers, paysages. Scènes convenues, cadres de fortune.
Je pourrais me retourner pour vérifier que le jeu de cannes est toujours là lui aussi, en vrac à côté de la porte, juste en dessous des grosses clés pendues en paquets, mais je ne ressens pas le besoin de le faire. Il est là, je le sais. Et l’impression étrange que je pourrais plonger « infiniment » dans cette drôle de réalité — semblable en cela à celle de ces derniers rêves, juste avant le réveil, dont on prend le contrôle dans un demi-sommeil — s’estompe à l’instant même où j’en prends conscience, et tout se brouille peu à peu, et je me perds à essayer de fouiller des yeux les recoins qui s’offrent maintenant si mal à eux. Alors je me raccroche en repensant à ces quelques fois où, après être allé chercher de l’eau ou du pain à la cuisine, je m’arrêtais un instant dans ce même couloir avant de revenir dans la salle à manger, silencieux et immobile à côté du lourd rideau de velours qui double la porte, en rotation immatérielle sur mes pieds fixes, dans l’espoir peut-être de m’approprier quelque chose d’un peu magique. L’obscurité m’aidait à retenir ma respiration et mon regard, après avoir un peu flotté sur les murs — comme pour s’aider dans sa progression —, aimait à se glisser jusqu’au pied de l’escalier là-bas tout au bout du couloir, puis à suivre et monter des yeux les marches, aidé par la lumière filtrée de sous la porte du demi-étage. Une autre fois, j’imaginais plutôt que je contournais l’escalier sous lequel, paraît-il, se dissimulait l’entrée d’un passage dérobé débouchant dans un placard du salon, et si ce vague mystère, que je n’ai jamais pu vérifier tant les abords de ce passage supposé étaient de part et d’autre encombrés, n’avait sans doute rien de surnaturel, je me plaisais à voir confusément dans ce désordre banal quelque signe de connivence avec un monde différent, où tout cela m’aurait été naturel. Aussi naturel en fait qu’il en allait sans doute lorsque j’étais ce petit enfant dont quelques photographies trouvées plus tard, bien plus tard, attestent du passage en ces mêmes lieux, passage trop éphémère pour qu’un souvenir conscient ait pu m’en rester.
On ne peut commenter un tel texte - il mérite l'écoute - , mais on se surprend à retenir son souffle durant la lecture. Et nos propres sensations d'enfance s'imposent. Je crois même qu'il existe, quelque part, une photo où, haute comme une demi-pomme, je suis devant la facel vega de la famille. Irai-je rechercher la boite en carton où elle sommeille à cause de votre texte ?
RépondreSupprimer;)
Les échos proustiens de ce texte me ravissent.Visite réelle ou reconstruction mentale? J'hésite, mais est ce si important de le savoir pour gouter ta recherche du temps perdu. J'attends les suites ...jusqu'au Temps retrouvé.
RépondreSupprimerCe texte parle aux profondeurs de nos êtres, à nos images d'enfance enfouies.
RépondreSupprimerBelle émotion.