Mai 1995, une petite ville dont j'ai oublié le nom, quelque part entre Bucarest et Brasov. Les trottoirs de l'avenue centrale, naguère défoncés, commençaient à être remis en forme, mais les bâtiments qui la longeaient hésitaient encore entre la décrépitude d'avant la démolition et le clinquant du neuf. Parmi eux, un cinéma à l'abandon avait attiré mon regard et je m'apprêtais à le photographier — comme j'ai pu le faire de tant d'autres cinémas un peu partout — lorsque le Professeur B., qui m'accompagnait dans cette excursion qu'il avait programmée à mon intention, manifesta une surprise sous laquelle, malgré le raffinement un peu suranné de ses manières, il était facile de percevoir une touche de contrariété, voire d'agacement. À quoi bon photographier cette chose sans charme que personne ici ne regrettera ? N'y a-t-il pas mieux à rapporter comme image de ce pays qu'un cube de béton au crépi écaillé ? Et peut-être valait-il mieux en effet que cette photo ne soit pas prise, ou alors pas comme ça, juste en passant…