Autrefois, il n’y avait ni porte ni barrière. On entrait directement dans la cour et, en quelques pas, on touchait au potager attenant à la terrasse. Et puis un jour, même si les planches qui limitaient le passage n’offraient qu’une protection symbolique, une séparatrice est apparue. Et puis un autre jour encore, il n’a plus été question d’entrer, les portes et les fenêtres étaient closes, les volets fermés. Alors c’était devenu le silence, un silence comme amplifié par la vie qui s’en était allée, oublieux des bruits qui montaient de la vallée.
Je me revois peu après ce jour-là, debout face à ces quelques planches regroupées en deux battants dont l’ouverture nécessitait une manœuvre en deux temps — retirer un anneau sommaire de fil de fer puis soulever l’ensemble tout en actionnant la poignée. À gauche sous le portique, une sonnette faite d’un triangle de métal, actionnant un long câble courant le long du mur jusqu’à une cloche au-dessus de la porte d’entrée. À droite, une boîte aux lettres de fortune, quelques planchettes assemblées en un réceptacle approximatif ouvert à toutes les intempéries avec — souvenir de ce qui, quelques années plus tôt, avait marqué ma découverte adolescente de ce lieu auparavant inconnu — un patronyme identique au mien inscrit d’une écriture anguleuse sur cette boîte. D’aussi loin que je pouvais me le rappeler alors, c’était la première fois que mon nom m’apparaissait ainsi, par l’extérieur et de façon presque étrangère, et ce petit rectangle de carton blanc fixé par deux punaises matérialisait pour moi une étrangeté aux autres sans doute toute naturelle : que l’on n’existe pas sans famille et que celle-ci — dût-on découvrir, brouilles supposées apaisées, des tantes insoupçonnées à l’âge de quinze ans — déborde de ses seuls parents.
Ainsi, je suis face à la barrière de cette maison (qui aurait pu être, sinon celle de mon enfance, du moins une « maison de famille » et qui ne l’aura jamais été vraiment, dans laquelle il m’aura toujours semblé être « en visite ») mais c’est comme si j’étais face à sa porte un peu plus loin à gauche, avec sa peinture écaillée et son heurtoir rouillé. Je sens confusément que mes pas ne franchiront sans doute plus jamais la limite fixée par cette barrière et ne fouleront pas davantage les dalles de la cour, mais me glisser en pensée devant cette porte me semble à la fois nécessaire et évident. Je reste sur le chemin mais je me projette de l’autre côté et c’est comme si j’y étais, comme si franchir la distance qui me sépare de cette porte allait de soi, comme s’il m’était possible de tourner la clé dans la serrure et d’entrer, comme si j’entrais.
J’entre.
Avec délectation, j'attends la suite...
RépondreSupprimerUne belle invitation littéraire et photographique à pénétrer dans cette maison imaginaire...
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