samedi 9 juillet 2011

"Indésirables"

Roissy-Charles de Gaulle, 8 juillet 2011

Je les ai croisés vers midi au Terminal 2F. Ils devaient partir pour Israël, moi pour ailleurs. J'ai bien sûr pu le faire, pas eux.

mercredi 6 juillet 2011

Les yeux grands ouverts

Prague, mai 2011

Nous vivons dans un monde de signes et d'images. Partout la trace, partout la démultiplication. Ce qui s'offre à chaque instant à notre regard se superpose à ce que nous avons vu depuis le premier jour. Rien ne s'efface et tout s'ajoute, laissant le temps sédimenter le présent dans le dédale de ses bifurcations continuelles. Parfois nos yeux prennent leurs habitudes ou s'attardent plus longtemps sur quelque chose, creusant plus profond le sillon du souvenir. Pour en fixer la marque, il nous arrive alors de prendre des photographies et c'est en les regardant plus tard que nous prenons conscience de vieillir. Photos, affiches, écrans… au monde que nous croyons voir se superposent un peu partout les images de ce que l'on veut bien nous en montrer. Et lorsque ce n'est pas elles que nous regardons, nous ne pouvons de temps en temps nous empêcher de voir inconsciemment ce qu'il convient d'appeler le réel à travers le filtre qui les a produites. Prolifération toujours accélérée, notre génération aura sans doute été plus exposée à elle seule que la totalité des générations qui l'ont précédée à un déluge d'images qui se reproduisent plus vite encore qu'elles ne se produisent, mais c'est en gardant les yeux grands ouverts que nous restons vivants.

mardi 5 juillet 2011

Rien de spécial en temps presque réel


Ce matin vers 8 heures, le métro est "normal" et les usagers "standard" — sans doute l'heure y est-elle pour quelque chose.
Il y a quelques semaines, devant prendre une des toutes premières rames peu après 5 heures, je m'étais retrouvé seul sur le quai avec un type en veste et cravate faisant des étirements du genre post-jogging en poussant avec énergie sur un tableau électrique… Rien de tout cela ce matin, juste beaucoup de monde, lecture plus ou moins équirépartie entre Métro, 20 minutes et Lyon Plus, baladeurs et mutisme matinal.

En arrivant à la Gare de Perrache, quelques couvertures repliées témoignent de la présence maintenant invisible de ceux qui ont dû y passer la nuit. Emporté par le flot entrant, on marche instinctivement sur la droite pour croiser sans encombre le flot sortant de ceux qui viennent travailler en ville. Quelques néons clignotent encore, un type téléphone en arpentant à grandes enjambées un espace un peu à l'écart du trafic piéton. Nouvelle distribution de gratuits. Mon TGV n'étant pas encore à quai, j'ai le temps de prendre un café.




Voiture 8, place 23. Le hasard me fait retrouver à la place 27 Céline R. qui monte elle aussi pour un jury — Paris cet après-midi pour elle, Orléans demain matin pour moi. Relectures parallèles de nos manuscrits respectifs, pages cornées, griffonnage de questions. Petite torpeur en traversant la Bourgogne, bercé par le brouhaha ambiant et le va-et-vient incessant auquel se livrent les deux moitiés d'un groupe séparé par le hasard des réservations. Cancans de bureau, plans vacances, vannes obligées du gai luron de service. Au hit-parade des mots attrapés au vol : "séminaire", "formation" et "sur internet". Dans ces cas-là, assez fréquents, on a des fois le répit d'une translation d'ensemble de l'équipe vers la voiture-bar, mais pas aujourd'hui…



De la Gare de Lyon, je traverse la Seine par le Pont Charles de Gaulle pour rejoindre la Gare d'Austerlitz d'où je prends le métro jusqu'à la station Odéon (où j'ai rendez-vous pour déjeuner avec ma fille L.). Arriver en avance me permet d'être abordé par deux fois, une pour la bonne cause ("Savez-vous où est la rue Mazarine ?") et une pour l'entourloupe ("Do you speak English? Je suis un poète américain, j'adore cette ville, vraiment, mais tout est si cher, etc."). De remarquer aussi qu'au socle de la statue de Danton est gravée cette déclaration toujours bonne à répéter : "Après le pain, l'éducation est le premier besoin du peuple". L. arrive, reconnaissable de loin à son casque "Union Jack".

Déjeuner à La Palette. Surfait bien sûr mais pas mal quand même, ne serait le camion de déménagement ronflant le long de la terrasse… Le café, ce sera ailleurs. L. reprend son vélo (bleu) qu'elle avait garé à deux pas, et direction l'Institut. La Grande Salle des Séances est déserte, on salue Racine et Richelieu. Personne au petit salon, on va directement faire grincer les parquets de la bibliothèque. Je raccompagne peu après L. et la rends à la préparation de sa soutenance de mémoire demain. Retour à la bibliothèque (et au wifi sous les lambris).



L'après-midi avance mais il fait encore très chaud et, si la ville est déjà en été, elle n'est pas encore en vacances. Les quais et les rues déroulent sans discontinuer des files compactes de voitures aux conducteurs énervés. Je remonte la rue Dauphine, reprends la ligne 10 et me retrouve à Austerlitz.




Le TER pour Orléans est à peu près vide. Un couple attend la dernière minute pour se séparer. De l'autre côté du train, la gare est en travaux, chantier arrêté sous la chaleur. Plus tard, à hauteur d'Artenay, de Chevilly, de Cercottes, la ligne SNCF longe la voie aérienne aujourd'hui désaffectée de feu l'aérotrain, "la géniale invention de l'ingénieur Bertin" (comme on disait alors). Je me souviens d'un petit livre que Jean-Bernard Pouy lui avait consacré (J'ai fait l'aérotrain) et je constate que la structure surélevée de béton est toujours taguée des mêmes grandes lettres blanches proclamant à intervalles réguliers "Oui à la vie, non à l'avortement".



Sans grande surprise, l'hôtel IBIS d'Orléans ressemble à tous les hôtels IBIS. Petite exploration du centre-ville où les Vélo'v/Vélib s'appellent Vélo+. Rues piétonnes animées, bars, pizzerias, rhumeries, tapas, crêperies, restaurants savoyards, bourguignons, dînatoires, alsaciens, végétariens, du marché, burgers, pubs, il y en a pour tous les goûts. Le vent se lève, soulevant les nappes en terrasse et faisant voler les pupitres des menus. Sur la place du Martroi où un "cercle du silence" appelait tout à l'heure à la justice et l'égalité pour les migrants sous les yeux de Jeanne d'Arc, le manège vient de fermer. La lumière décroît et quelques gouttes commencent à tomber. Il est temps de rentrer.