samedi 13 juillet 2013

1977

Si j'avais raté "BBH75", je me rattrape avec "No man's land". On dit que c'est "No future" et punk et compagnie de l'autre côté du Channel, mais le saphir de ma mini-chaîne Dual s'accroche à Higelin, s'obstinant à creuser le sillon d'un 33 tours qui, aujourd'hui, se met en boucle sur presque toutes les plages. 1977, une année de Jacques. Prévert meurt, Brel s'en va aux Marquises, Chirac s'installe à Paris, Mesrine publie "L'instinct de mort" et Higelin fait écrire à l'ennemi public numéro un une lettre à sa petite amie. Les années passeront mais Higelin sera toujours quelque part pas loin, "Champagne pour tout le monde" et "Caviar pour les autres" bien sûr — avec le regret d'avoir raté les concerts à Mogador —, mais les autres albums aussi, de "Tombé du ciel" à "Amor doloroso". Avec "Illicite" et les chansons pour Izia, c'est autre chose encore. Sa "petite beauté" que l'on aura vu naître, c'est aujourd'hui ma fille qui va l'écouter en concert et la passe en boucle sur son iPod.

1975/1976

Le fond de l'air est vert. Fond d'écologie politique avec en kiosques "La gueule ouverte" (pastichée en "La gueule toute verte" — déjà Jalons ?), "Marche Verte" pour les Sahraouis au Maroc, et bien sûr l'omniprésent "Allez les Verts !", claironné, affiché, décliné un peu partout. Rocheteau a les boucles du Lavilliers de l'époque, et on aime bien l'un comme l'autre pour leur côté local/global avant l'heure, à la fois enracinés quelque part ("On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville"), pieds dans les usines ou crampons dans la terre, mais aussi citoyens d'un monde qui se globalise, dans lequel on joue de plus en plus facilement à saute-frontières, se faufilant comme un billet... vert ! Seul match de foot que j'aurais jamais regardé de bout en bout, je verrais les Verts de l'ASSE perdre en noir et blanc face au Bayern de Munich, instant singulier dont je découvrirais plus tard que je l'aurais partagé avec beaucoup pour qui, comme pour moi, c'était la première et dernière fois.

vendredi 12 juillet 2013

1974

Ce qui frappe dans "1974, une partie de campagne", le film de Raymond Depardon, c'est l'incroyable mélange d'amateurisme et de naïveté dans lequel baignait alors la politique. On y voit des cellules de réflexion réduites à leur plus simple expression (quelques ministres et c'est tout, ni bataillons de conseillers ni attachées de tout et n'importe quoi), on y assiste à des remue-méninges au premier degré ("— Où faire mes derniers meetings pour toucher les ouvriers ? — Vous pourriez aller à Montceaux-les-Mines…  Ah oui, bonne idée, c'est un nom qui devrait envoyer le bon message à la télé !"), on n'y croise pas de "communicants" ou si peu, on découvre un candidat Ministre des Finances attendant, seul dans son bureau, que sonne le gros téléphone posé face à lui pour une estimation des premiers résultats transmise par son collègue de l'Intérieur, on le suit dans une traversée de Paris en voiture, sans chauffeur ni garde rapprochée… Et cette candeur, cette simplicité malgré elle, participaient elles aussi de la "parenthèse enchantée" de ces années-là, brève période de basculement entre les silences et les secrets d'avant et l'affichage publicitaire et fabriqué d'après.

1973

L'heure était aux cols roulés, pulls ou sous-pulls confondus. On se faisait beau comme pour plaire à Barbara ("Elle aima son smoking vert, son col roulé blanc"), même si des fois le mauvais goût de l'acrylique, de l'orange et de la coupe moulante, immortalisé sur des photos dont les couleurs peu à peu s'estompent mais ne se résignent pas tout à fait à disparaître, laisse aujourd'hui rêveur. On portait aussi le gros pull de laine à col roulé qui, jointé à une barbe et des cheveux en bataille, était supposé — bouffarde parfois en prime, Brassens en filigrane (Brassens qui nous semblait installé depuis toujours dans une soixantaine qu'il n'atteindrait pourtant qu'à sa mort, presque dix ans plus tard) — asseoir à certains d'entre nous l'autorité sérieuse de théatreux ou de musicos de 18 ans. Nos copines elles-même, parfois pantalons évasés, parfois bottes et mini-jupes de laine sur collants multicolores, enfouissaient sous de larges cols roulés l'élan que l'on devinait délicat de leurs cous graciles. Nous pensions être en marge du pompidolisme télévisuel, mais l'évocation de cols roulés nous ramène à des images de Joe Dassin, Mike Brant ou Jacques Martin. La France de 1973, de la "petite fille" de C. Jérôme et de la lessive Supercroix, était sans doute singulièrement étroite.

[En marge des 40 ans de Libé et de ses évocations chaque jour d'une année depuis 1973, le premier d'une série de billets pas forcément systématique…]