mercredi 22 juin 2011

Photos que l'on aurait pu prendre (18)

San Gemignano, juillet 1980

La photo aurait-elle été prise que rien ou presque n'aurait été pareil. Si deux fragments de tours peuvent ressembler à leur photo, le dessin ne s'approprie du mouvement et du multiple que l'idée, la "prise de vue" s'étire dans le temps et la représentation s'échappe de l'observation. La main peu à peu lui invente une existence propre et pourtant la trace diluée, séquentielle, incrémentale qui en résulte ramène à l'illusion de l'instantanéité.

dimanche 19 juin 2011

Plaisir d'offrir, joie de recevoir

Dans des temps encore pas si lointains, on trouvait dans les villages de France des "bureaux de tabac", des "marchands de journaux", des "papeteries", où des cartes postales improbables finissaient leur vie sur des tourniquets grinçants, dans l'attente tout aussi improbable d'un amateur de passage. Elles faisaient partie naturellement du décor, ce qu'elles racontaient reflétaient quelque chose de l'air du temps d'alors et il n'y a que le processus d'uniformisation progressive, à l'œuvre un peu partout, qui les a rendues à leur incongruïté avant de les faire simplement disparaître au gré de la fermeture des petits commerces ou de leur rénovation. Peu de chances aujourd'hui donc de trouver encore de ces cartes au hasard d'une "maison de la presse" devenue "Relay" — un de ces lieux aussi indifférenciables que peuvent l'être les centres commerciaux ou les aéroports —, où les mêmes journaux, les mêmes revues et les mêmes livres sont classés à Pontcharra-sur-Turdine comme ils le sont à Lille ou à Roissy Charles de Gaulle. Il reste les foires aux cartes postales — voire eBay… — mais, autant j'aime dénicher par surprise, autant la quasi-certitude de trouver ôte à mes yeux tout intérêt ou presque à la découverte. Pour filer une métaphore potagère, je fais plutôt de la cueillette et, comme pour les fruits ou les herbes pour lesquels le lieu et la saison importent autant que la chose (à quoi bon des fraises des bois, du basilic ou de la roquette partout et toute l'année ?), une série incomplète oubliée dans une arrière-boutique vaudra toujours mieux pour moi que l'intégrale sous plastique dans un bac bien classé.

Premier lot en partage, en ce jour de Fête des Pères. Déclinaisons appliquées d'une image de la paternité des années 60 et 70, archétypes premier degré aux attributs qui ne passeraient sans doute plus aujourd'hui la barrière juridique de la publication, reflets supposés de vies projetées. On ne sait pas si Papa drague ou cause, mais il boit et il fume. La technique est son amie, il bricole et les photos de vacances, c'est lui. Papa responsable peut avoir l'autorité un peu austère, à l'image de son bureau aux stylos bien rangés (car il a un bureau bien à lui dans la maison ou l'appartement, où il s'isole pour signer des chèques en tirant sur sa bouffarde quand il n'y convoque pas ses enfants trublions pour une mise au point nécessaire). Ou alors Papa seul salaire passe sa semaine sur les routes et, le week-end, il dénoue sa cravate et c'est le sport à la télé, les pieds sur la table basse, cigarettes, whisky et grosses cylindrées. On regarde ces clichés avec amusement et puis on se souvient de soirées diapo, de cravates offertes, de livres aussi. Un jour, on retrouvera un briquet oublié et, en faisant tourner dans nos doigts un bouton de manchette nacré, on se demandera où a bien pu passer le deuxième…