samedi 2 janvier 2010

Chambres d'hôtel (25)

Orta San Giulio, août 1985

Il y a des hôtels où l'on a toujours rêvé d'aller — souvent pour des raisons de cinéma — et dont on ne connaîtra sans doute jamais les chambres, soit parce qu'ils sont déraisonnablement chers (comme, au Lido, l'Hôtel des Bains de "Mort à Venise" ou, à San Diego, l'Hotel del Coronado de "Certains l'aiment chaud"), soit parce que, le temps de se décider, ils auront été détruits ou auront changé d'âme (comme, à Saint Nazaire, l'Hôtel de la Plage des "Vacances de Monsieur Hulot" ou, dans le désert californien, le Jacumba Hotel dont une séquence de "Cinéma, Cinémas" a immortalisé le souvenir du tournage de "Beggars of life" avec Louise Brooks).
Et puis il y a aussi les hôtels comme ça (comme, à Orta San Giulio, l'Hôtel Orta) dont on se dit, campant à côté en famille, que c'est à deux qu'il faudra y revenir, si possible en semaine et de préférence hors saison. Mais le temps passe, les circonstances ne s'y prêtent pas et on ne pousse jamais plus loin que la salle de restaurant ou la terrasse du café attenant. Alors on se plaît à croire que c'est l'Hôtel Orta qui lui aussi nous attend, intemporel et égal à lui-même tout au bout de la place piétonne, face à l'Isola San Giulio. Et qu'un jour sûrement…

Bonheurs en petite monnaie (1)

Corniglia, septembre 1992

Le train, qui seul traverse ces "cinq terres" dépourvues de routes, nous avait posés à Corniglia, juste au pied des longues volées de marches menant jusqu'au village haut perché au-dessus de la voie et à une chambre trouvée grâce à un numéro de téléphone dans un vieux City. La chambre était étroite et sombre, occupée à moitié par une immense armoire à glace, mais le belvédère était au bout de la ruelle et il y avait de la focaccia dans la boulangerie-comptoir juste à gauche en sortant.
Presque personne dans cette entre-deux où l'été finissant ne se décidait pas encore à laisser la place à l'automne. Souvenir de marches tranquilles sur des corniches escarpées et de descentes abruptes dans des criques désertes où se baigner donnait une impression d'évidence d'être totalement dans l'instant, ni dans des allers-retours avec un passé fait de regrets ou d'autres bonheurs, ni dans un futur avançant les pions de ses projets et de ses soucis, mais d'être juste là, synchrones, et d'en avoir une conscience pleine et entière.
Et le train qui allait venir bientôt nous ramènerait à Gênes en refermant une parenthèse non pas parfaite mais proche de quelque chose de l'ordre de "l'exactitude".

lundi 28 décembre 2009

Photos que l'on aurait pu prendre (6)

Lou ne veut pas que je la photographie.
Toulon, avril 2009

Y a-t-il un temps pour photographier ? Un état sans doute, mais pourquoi faudrait-il le prétexte d'un événement particulier, d'un voyage ou d'un écart à l'habitude pour fixer des images ? Beaucoup de "photos que l'on aurait pu prendre" ne l'ont pas été pour la simple raison qu'il aurait fallu disposer à ce moment-là d'un appareil que l'on n'avait pas sous la main mais, inversement, lorsque l'on a toujours sur soi de quoi photographier ("Shoot ? Toujours prêt !"), c'est la question de la nécessité qui s'invite car, comme pour la carte de Borges dont le souci de reproduction toujours plus fidèle de la réalité l'amène à être aussi grande que son objet, à lui être ainsi parfaitement superposable mais par là-même totalement inutile, à quoi bon la chimère d'espérer ne rien manquer de ce qui peut s'offrir à notre regard, et d'en garder trace ?