mardi 5 juillet 2011

Rien de spécial en temps presque réel


Ce matin vers 8 heures, le métro est "normal" et les usagers "standard" — sans doute l'heure y est-elle pour quelque chose.
Il y a quelques semaines, devant prendre une des toutes premières rames peu après 5 heures, je m'étais retrouvé seul sur le quai avec un type en veste et cravate faisant des étirements du genre post-jogging en poussant avec énergie sur un tableau électrique… Rien de tout cela ce matin, juste beaucoup de monde, lecture plus ou moins équirépartie entre Métro, 20 minutes et Lyon Plus, baladeurs et mutisme matinal.

En arrivant à la Gare de Perrache, quelques couvertures repliées témoignent de la présence maintenant invisible de ceux qui ont dû y passer la nuit. Emporté par le flot entrant, on marche instinctivement sur la droite pour croiser sans encombre le flot sortant de ceux qui viennent travailler en ville. Quelques néons clignotent encore, un type téléphone en arpentant à grandes enjambées un espace un peu à l'écart du trafic piéton. Nouvelle distribution de gratuits. Mon TGV n'étant pas encore à quai, j'ai le temps de prendre un café.




Voiture 8, place 23. Le hasard me fait retrouver à la place 27 Céline R. qui monte elle aussi pour un jury — Paris cet après-midi pour elle, Orléans demain matin pour moi. Relectures parallèles de nos manuscrits respectifs, pages cornées, griffonnage de questions. Petite torpeur en traversant la Bourgogne, bercé par le brouhaha ambiant et le va-et-vient incessant auquel se livrent les deux moitiés d'un groupe séparé par le hasard des réservations. Cancans de bureau, plans vacances, vannes obligées du gai luron de service. Au hit-parade des mots attrapés au vol : "séminaire", "formation" et "sur internet". Dans ces cas-là, assez fréquents, on a des fois le répit d'une translation d'ensemble de l'équipe vers la voiture-bar, mais pas aujourd'hui…



De la Gare de Lyon, je traverse la Seine par le Pont Charles de Gaulle pour rejoindre la Gare d'Austerlitz d'où je prends le métro jusqu'à la station Odéon (où j'ai rendez-vous pour déjeuner avec ma fille L.). Arriver en avance me permet d'être abordé par deux fois, une pour la bonne cause ("Savez-vous où est la rue Mazarine ?") et une pour l'entourloupe ("Do you speak English? Je suis un poète américain, j'adore cette ville, vraiment, mais tout est si cher, etc."). De remarquer aussi qu'au socle de la statue de Danton est gravée cette déclaration toujours bonne à répéter : "Après le pain, l'éducation est le premier besoin du peuple". L. arrive, reconnaissable de loin à son casque "Union Jack".

Déjeuner à La Palette. Surfait bien sûr mais pas mal quand même, ne serait le camion de déménagement ronflant le long de la terrasse… Le café, ce sera ailleurs. L. reprend son vélo (bleu) qu'elle avait garé à deux pas, et direction l'Institut. La Grande Salle des Séances est déserte, on salue Racine et Richelieu. Personne au petit salon, on va directement faire grincer les parquets de la bibliothèque. Je raccompagne peu après L. et la rends à la préparation de sa soutenance de mémoire demain. Retour à la bibliothèque (et au wifi sous les lambris).



L'après-midi avance mais il fait encore très chaud et, si la ville est déjà en été, elle n'est pas encore en vacances. Les quais et les rues déroulent sans discontinuer des files compactes de voitures aux conducteurs énervés. Je remonte la rue Dauphine, reprends la ligne 10 et me retrouve à Austerlitz.




Le TER pour Orléans est à peu près vide. Un couple attend la dernière minute pour se séparer. De l'autre côté du train, la gare est en travaux, chantier arrêté sous la chaleur. Plus tard, à hauteur d'Artenay, de Chevilly, de Cercottes, la ligne SNCF longe la voie aérienne aujourd'hui désaffectée de feu l'aérotrain, "la géniale invention de l'ingénieur Bertin" (comme on disait alors). Je me souviens d'un petit livre que Jean-Bernard Pouy lui avait consacré (J'ai fait l'aérotrain) et je constate que la structure surélevée de béton est toujours taguée des mêmes grandes lettres blanches proclamant à intervalles réguliers "Oui à la vie, non à l'avortement".



Sans grande surprise, l'hôtel IBIS d'Orléans ressemble à tous les hôtels IBIS. Petite exploration du centre-ville où les Vélo'v/Vélib s'appellent Vélo+. Rues piétonnes animées, bars, pizzerias, rhumeries, tapas, crêperies, restaurants savoyards, bourguignons, dînatoires, alsaciens, végétariens, du marché, burgers, pubs, il y en a pour tous les goûts. Le vent se lève, soulevant les nappes en terrasse et faisant voler les pupitres des menus. Sur la place du Martroi où un "cercle du silence" appelait tout à l'heure à la justice et l'égalité pour les migrants sous les yeux de Jeanne d'Arc, le manège vient de fermer. La lumière décroît et quelques gouttes commencent à tomber. Il est temps de rentrer.




9 commentaires:

  1. Des propos désespérants s'ils ne sont de désespoir, relayés par des photographies qui me donneraient envie de fuir si ce n'était déjà fait.
    Même ton déjeuner à La Palette n'est pas une totale réussite... et pourtant, "surfait" peut-être, encore faut-il pouvoir se l'offrir.
    Tu donnes l'impression, peut-être fausse, de faire toutes ces activités comme à regret, alors tu ne "vois" qu'un versant, côté sombre... mais il y a aussi le côté lumière, ainsi pour Orléans, j'y ai vu, et pourtant mon état d'esprit n'était pas serein, "Winter's Bone" de Debra Granik au cinéma des Carmes dans la rue éponyme, multiple, bariolée, pas forcément très lisse, mais diablement vivante...
    Alors oui, tu décris ta journée, et je la trouve désespérante, et les photos sont "sombres" en grande partie... tes premiers mots, la première photo et l'espoir s'est envolé...
    J'ai trop besoin de lumière.

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  2. Eh bien... "question de regard", on peut voir les choses de façon fort différente ! Un peu de distanciation, sans doute, mais de désespoir, je ne te suis pas...

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  3. Retour attendu (enfin pour ma part) de tes photos.Chronique en toute lucidité semble-t-il d'un temps de vie ordinaire ( pour le plaisir de la paraphrase). Je n'y vois ni désespoir, ni noirceur, juste le recul requis et il s'agit là d'un espace- temps, ni trop, ni pas assez pour que ces notes de la journée en deviennent le récit relaté en toute sérénité.

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  4. Je me suis probablement mal fait comprendre, ou alors manque de "distanciation"... néanmoins comment trouver une once "d'espoir" dans les quatre dernières photos ?
    - une ouverture sur des murs nus,
    - des vélib dérisoires devant une officine de fringues de "mauvaise" qualité,
    - un rassemblement de "contestataires" de Jeanne d'Arc (?)... on est prié d'apporter son pliant (oui on est très loin des "Black Bloc" mais très proche des anti-corridas qui font la ronde à certains ronds-points),
    - un manège fermé, tagué que, personnellement, je trouve emblématique d'une certaine tristesse, d'une sorte d'abandon.
    Et la lumière/éclairage n'est pas là pour inciter à la "débauche". Si ?

    Mes considérations n'étaient pas une critique de ton billet mais plutôt le constat d'une réalité et la "distanciation" n'empêche pas, je croyais, la lucidité. Qu'il (le constat) ne soit pas partagé, tant pis...

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  5. On en revient à la sempiternelle question de l'interprétation du paysage.Ton paysage quotidien Alain est peut-être moins urbain que celui de Patrick ou le mien. Je vois dans ces photos uniquement des parcelles d'un paysage très familier et qui ne m'évoque aucun désespoir. A y chercher bien , je verrai même dans chaque photo une ouverture, le rideau entr'ouvert du manège,la lucarne,la lumière sur le quai de gare, le couple enlacé, le vent dans les jupes des femmes....
    Mais que le constat ne soit pas partagé, tant mieux, je dirai, puisqu'il ouvre la discussion!

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  6. C'est drôle comme les images peuvent prendre une signification si personnelle. Je vois là une énumération proche de Perec, tendance carrefour Mabillon, et une fois de plus je constate, que chez toi le texte m'éloigne des images. Le texte c'est la première chose que je vais regarder ici.
    Pourtant les images sont là, très présentes même. C'est comme ça que j'imagine un roman photo.
    Tu recommences quand tu veux.

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  7. Oui, une énumération. Pas de volonté revendiquée pour l'espoir ou le désespoir. Prendre le temps comme il vient et essayer de le rendre factuellement, avec donc aussi les rues d'une ville de province qui se vident le soir…
    Merci de vos lectures à tou(te)s.

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  8. Un article en forme d'inventaire, le déroulé de cette journée bien remplie. Désespoir ? Je ne crois pas non plus, mais plutôt simplement une retranscription de "ce qui est", où chacun trouvera son bonheur (ou pas)... Comme Christian, je me surprend à me laisser prendre par le texte. Il est ici important, dans ce qu'il raconte -ėvidemment-, mais aussi dans le volume qu'il représente par rapport à l'image. Lequel illustre l'autre ? Ce n'est pas évident... Est-ce une "nouvelle formule" ? Je me laisse emballer et séduire, en tout cas .

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  9. Voilà c'est ça tout juste : " Lequel illustre l'autre"

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