samedi 13 novembre 2010

Passerelles (34)


Tampa (FL), novembre 1983 et Montréal, juin 2003

On a beau parler d'autre chose, on parle toujours un peu de soi. Par le regard qu'on a posé sur ce que l'on choisit de montrer, par ce qu'on en dit ou n'en dit pas. Et peu à peu se dessine ainsi un auto-portrait éclaté, un puzzle aux éléments épars dont, devenu aussi son propre spectateur, on découvre de temps en temps des pièces qui s'emboîtent bien, des agencements qui s'organisent et des zones plus larges qui se mettent à prendre un sens. Et des fois l'inverse.

vendredi 12 novembre 2010

jeudi 11 novembre 2010

Marina Beach

Chennai, janvier 2002

mercredi 10 novembre 2010

La maison (2)

© A.F., novembre 1957


Au silence s’ajoute l’obscurité.
Les aquarelles sont toujours là, accrochées un peu au hasard sur les murs du couloir d’entrée. Souvenirs de rares confidences — « Lui, c’était un artiste », « Ta tante aimait bien dessiner et peindre, moi je n’ai jamais vraiment su », … Quais, clochers, paysages. Scènes convenues, cadres de fortune.
Je pourrais me retourner pour vérifier que le jeu de cannes est toujours là lui aussi, en vrac à côté de la porte, juste en dessous des grosses clés pendues en paquets, mais je ne ressens pas le besoin de le faire. Il est là, je le sais. Et l’impression étrange que je pourrais plonger « infiniment » dans cette drôle de réalité — semblable en cela à celle de ces derniers rêves, juste avant le réveil, dont on prend le contrôle dans un demi-sommeil — s’estompe à l’instant même où j’en prends conscience, et tout se brouille peu à peu, et je me perds à essayer de fouiller des yeux les recoins qui s’offrent maintenant si mal à eux. Alors je me raccroche en repensant à ces quelques fois où, après être allé chercher de l’eau ou du pain à la cuisine, je m’arrêtais un instant dans ce même couloir avant de revenir dans la salle à manger, silencieux et immobile à côté du lourd rideau de velours qui double la porte, en rotation immatérielle sur mes pieds fixes, dans l’espoir peut-être de m’approprier quelque chose d’un peu magique. L’obscurité m’aidait à retenir ma respiration et mon regard, après avoir un peu flotté sur les murs — comme pour s’aider dans sa progression —, aimait à se glisser jusqu’au pied de l’escalier là-bas tout au bout du couloir, puis à suivre et monter des yeux les marches, aidé par la lumière filtrée de sous la porte du demi-étage. Une autre fois, j’imaginais plutôt que je contournais l’escalier sous lequel, paraît-il, se dissimulait l’entrée d’un passage dérobé débouchant dans un placard du salon, et si ce vague mystère, que je n’ai jamais pu vérifier tant les abords de ce passage supposé étaient de part et d’autre encombrés, n’avait sans doute rien de surnaturel, je me plaisais à voir confusément dans ce désordre banal quelque signe de connivence avec un monde différent, où tout cela m’aurait été naturel. Aussi naturel en fait qu’il en allait sans doute lorsque j’étais ce petit enfant dont quelques photographies trouvées plus tard, bien plus tard, attestent du passage en ces mêmes lieux, passage trop éphémère pour qu’un souvenir conscient ait pu m’en rester.

Amériques (21)

Dallas (TX), 20 mars 2010

mardi 9 novembre 2010

Passerelles (33)

Restaurant du Lac
Grande-Rivière, 16 août 2007
 
pour Zoé

Ce n'est pas l'Arizona, mais cette image qui te plaisait bien dans le "Written in the West" de Wim Wenders que nous avons feuilleté ensemble hier soir m'a (bizarrement peut-être, mais irrésistiblement) renvoyé à cette arrière-salle de restaurant que je n'aurais jamais connue si tu n'avais fait cet été-là un stage aux Cernois tout proches...

lundi 8 novembre 2010

Parking privé (5)

Houston (TX), 14 mars 2010

dimanche 7 novembre 2010

La maison (1)

Autrefois, il n’y avait ni porte ni barrière. On entrait directement dans la cour et, en quelques pas, on touchait au potager attenant à la terrasse. Et puis un jour, même si les planches qui limitaient le passage n’offraient qu’une protection symbolique, une séparatrice est apparue. Et puis un autre jour encore, il n’a plus été question d’entrer, les portes et les fenêtres étaient closes, les volets fermés. Alors c’était devenu le silence, un silence comme amplifié par la vie qui s’en était allée, oublieux des bruits qui montaient de la vallée.
Je me revois peu après ce jour-là, debout face à ces quelques planches regroupées en deux battants dont l’ouverture nécessitait une manœuvre en deux temps — retirer un anneau sommaire de fil de fer puis soulever l’ensemble tout en actionnant la poignée. À gauche sous le portique, une sonnette faite d’un triangle de métal, actionnant un long câble courant le long du mur jusqu’à une cloche au-dessus de la porte d’entrée. À droite, une boîte aux lettres de fortune, quelques planchettes assemblées en un réceptacle approximatif ouvert à toutes les intempéries avec — souvenir de ce qui, quelques années plus tôt, avait marqué ma découverte adolescente de ce lieu auparavant inconnu — un patronyme identique au mien inscrit d’une écriture anguleuse sur cette boîte. D’aussi loin que je pouvais me le rappeler alors, c’était la première fois que mon nom m’apparaissait ainsi, par l’extérieur et de façon presque étrangère, et ce petit rectangle de carton blanc fixé par deux punaises matérialisait pour moi une étrangeté aux autres sans doute toute naturelle : que l’on n’existe pas sans famille et que celle-ci — dût-on découvrir, brouilles supposées apaisées, des tantes insoupçonnées à l’âge de quinze ans — déborde de ses seuls parents.
Ainsi, je suis face à la barrière de cette maison (qui aurait pu être, sinon celle de mon enfance, du moins une « maison de famille » et qui ne l’aura jamais été vraiment, dans laquelle il m’aura toujours semblé être « en visite ») mais c’est comme si j’étais face à sa porte un peu plus loin à gauche, avec sa peinture écaillée et son heurtoir rouillé. Je sens confusément que mes pas ne franchiront sans doute plus jamais la limite fixée par cette barrière et ne fouleront pas davantage les dalles de la cour, mais me glisser en pensée devant cette porte me semble à la fois nécessaire et évident. Je reste sur le chemin mais je me projette de l’autre côté et c’est comme si j’y étais, comme si franchir la distance qui me sépare de cette porte allait de soi, comme s’il m’était possible de tourner la clé dans la serrure et d’entrer, comme si  j’entrais.
J’entre.