dimanche 22 mai 2011

La vie des livres (12)

Lyon, janvier 2011

Dans le désordre apparent de leurs alignements, de leurs empilements et de leurs juxtapositions, les livres offerts aux étals des bouquinistes ne sont pas là qu'en attente de l'hypothétique nouvelle vie que nous pourrions leur offrir, ils nous parlent aussi de nous. Preuves tangibles du temps qui passe, leurs couvertures instantanément familières nous renvoient à notre jeunesse, à notre enfance, à des temps que l'on réalise brusquement comme étant déjà bien lointains. C'est un Joseph, Noémie, Célestin et autres paysans d'Ardèche (dont la typographie même du titre, de l'American Typewriter qui a pu être insolemment moderne à la une des Libé de la fin des années 70, paraît aujourd'hui étonnamment datée) et les années folk s'invitent avec chemises grand-père, sabots suédois, Malicorne, Malville et Larzac. Juste à côté, hasard ou pas, un peu de Maspero avec Libres enfants de Summerhill dans l'édition — crême et blanche — dont on parlait avec entendement, sans être tout à fait sûrs de l'avoir vraiment lu. Parfois, reconnaissable à l'annotation manuscrite de chacun de ses volumes, c'est un pan entier de bibliothèque qui est proposé, valse de titres dont on se surprend à voir à quel point la cohabitation a priori sans raison (Lodge, Frank, Holder, Cohen, Rolin, Toussaint, …) est semblable à celle de nos propres rayonnages, nous laissant  — passée l'impression confuse qu'on pourrait en avoir été le propriétaire — avec l'interrogation de savoir ce qu'il adviendra des nôtres à l'heure de la dispersion. D'autres fois, c'est l'enfance plus lointaine qui refait surface à l'occasion d'un éclair aussi inattendu que celui qu'un parfum croisé peut faire ressurgir. Le souvenir, brutalement évident, de ces tourniquets sur les trottoirs en devanture de librairie où se côtoyaient ces livres de poche aux formats oubliés dont on retrouve aujourd'hui un exemplaire isolé, "Marabout" parlant de vie pratique, "J'ai Lu" bleus dédiés à la deuxième guerre mondiale (Afrika Korps, renard du désert, procès de Nüremberg, …) dont on pressentait qu'ils devaient contenir de terribles secrets, "J'ai Lu" encore mais rouges et dorés, clinquants comme les autres mystères qu'ils étaient supposés disséquer, soucoupes volantes, civilisations extra-terrestres, trésors perdus. On balaie du regard les tables et les strates de nos vies se mélangent, d'un "Livre de Poche" au cartouche arrondi sur la tranche à trois "Poulpe" (Nazis dans le métro, La petite écuyère a cafté, Boucher double) en passant par La salle de bain qu'on rachète pour que sa fille la découvre en Minuit. Comme dit Mathieu Lindon dans Ce qu'aimer veut dire : "Je ne veux pas de ma vie que des livres mais, quand même, je ne l'imagine pas sans eux".

3 commentaires:

  1. Une très belle photo d'ambiance ( mais pas seulement ) avec cette lumière superbe à l'arrière-plan. Pour une fois...je me permets de te suggérer la suppression de la partie gauche ( la femme ) et là, le portrait superbe et en triangulation des trois hommes apparaît, donnant une grande force à l'ensemble. Il faut dire que l'expression et l'attitude de l'homme à gauche sont vraiment intéressantes. Mais je dis aussi beaucoup de bêtises ;).

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  2. Ici , c'est plutôt au texte que je vais m'attacher. Tu as très bien décrit cette vague d'enfance qui remonte en nous à la vue d'une couverture de livre d'un autre temps, cette madeleine que peut devenir une typographie.Et aucune reconstitution de cette époque n'aura jamais le goût véritable que nous donnent ces livres et ces images poussiéreuses qu'on peut réellement tenir entre nos mains vieillies.

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  3. brigitte david21 juin 2012 à 07:47

    Tout est bien. Le premier plan, l'arrière-plan avec cette lumière subtile sur les quais de Saône, qui à elle seule méritait la photo, et l'intensité des personnages ... Le texte qui balaie l'histoire de nos bibliothèques... Du Livre de poche dont le premier livre publié je crois était Le Grand Meaulnes , aux éditions de Minuit avec son premier livre 'Le Silence de la mer" et tous ses écrivains que j'adore, Duras d'abord, Christian Gailly "Un soir au club", en passant par Rolin (Olivier j'espère avec son Port-Soudan, un chef d'oeuvre en passant par Eric Holder... Tiens quelqu'un qui connaît... Lodge, j'ai beaucoup ri , mais il faut lire aussi Alison Lurie sur les mêmes thèmes et Liaisons Etrangères que j'ai dû offrir x fois... Cohen ... Sa belle , m'emmerde!Toussaint... pas accroché...

    Oui.. Malville... J'y ai couru . Je faisais à l'époque des traducs au CEA et j'y étais venu avec des chercheurs dans le nucléaire... Et Summerhill auquel on se réfère effectivement sans même l'avoir vraiment lu - ce qui est le cas pour toute cette prose de" mauvaise prose albanaise" comme disait un ami...
    Bon, un détail, le livre de Giorda au premier plan. Un copain de base à Lyon. Il s'est payé la tête de toute la famille avec des bonheurs inégaux. "Je n'ai pas réussi à faire ton regard!" Il a fait mon nez. On a été fâchés. Et il est prêt à remettre ça...

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