Saint-Just-en-Chevalet, 24 avril 2011
1975, Maroc — Deux tentes pour huit. Lourde toile, double-toit, piquets, armée de sardines. On les montera le moins souvent possible.
1976, Roumanie — Une tente pour quatre, à peine plus légère, mais il pleut souvent. Accident juste après la frontière… trouver un garage à Cluj-Napoca relève de l'exploit. Les deux types de garde, qui reluquent A. et S. de façon appuyée, insistent pour que l'on plante sur place. Hésitation, fatigue, demi-sommeil. Réveil en sursaut au petit matin lorsque la toile est secouée de l'extérieur : une vache.
1978, Sicile — Il a plu toute la nuit. On repart avec des toiles trempées que l'on étale aux premiers vrais rayons de soleil sur le sol sec d'une place de village. On dirait des voiles de bateaux.
1978, Alsace — Le 153ème Régiment d'Infanterie est en manœuvre et les tentes kaki sont arrivées par camion. Feu de bois, vin chaud, "oies sauvages", on se croirait chez les scouts. Se méfier quand même : demain les Russes attaquent.
1980, Italie — Pas eu le courage de planter. Grandeur et misère des nuits à la belle étoile : le ciel est magnifique et les moustiques teigneux. Des effluves de musique lointaine nous laissent penser qu'à minuit passé, une Festa de l'Unità n'est peut-être pas terminée quelque part . G. et moi nous relevons pour nous y rendre à l'oreille. Porchetta et verre de vin d'accueil dans une cour de ferme. Un vieux juché sur une table joue de l'accordéon et tout le monde danse, c'est un mariage. La fête se poursuivra ailleurs. Et pour quelques heures à peine, la 204 fera plus tard une tente très confortable.
1981, Sud-Ouest — Le camping sans charme fait penser à un hôtel de province un peu triste et un peu vieux, où l'on ne va que par stricte nécessité. Le soir, H. et moi tendons nos oreilles à la terrasse du bar local, soucieux de varier nos plaisirs apéritifs : c'est ici que je découvrirai l'existence du "fond de culotte" (un "Suze-Cassis"…).
1983-85, Italie — La toile se fait plus légère, mais il y a encore les piquets et le grésillement qui fait tout replier lorsque l'orage s'approche.
Campings municipaux introuvables, campings "internationaux" chers, sans ombre et surpeuplés. Les tentes à touche-touche mettent nos oreilles aux premières loges pour les ébats, extatiques et bruyants, de nos voisins. Au matin, on se salue comme si de rien n'était.
1990-94, France — Deux alcôves, un auvent, la tente a pris de l'ampleur avec la famille qui s'agrandit, mais on l'utilise surtout sur le chemin pour aller quelque part où une maison nous attend.
Une fois, L. demande à me photographier, debout devant l'entrée de la tente. L'image est coupée à mi-visage, mais on reconnaît facilement le jean retaillé qui me sert de bermuda.
Une autre fois, c'est à mon tour de photographier M. au réveil, juste une petite tête ébouriffée se glissant sous l'entrée de toile partiellement dézippée, œil mi-clos de sommeil, éblouie par le soleil qui lui fait face.
1992, Italie — L. et M. ont quatre ans. Attirées par la musique venant du côté de l'entrée du camping, elles nous entraînent vers ce qui se révèle être un karaoke. Ayant tout juste eu le temps de se glisser à coups de coudes jusqu'au premier rang avant qu'un nouvel amateur ne prenne le micro, elles repartent en courant dès ses premières mesures, se bouchant les oreilles avec ostentation.
2000 ? Allez savoir quand, mais un jour la grande tente a fini chez Emmaüs et a été remplacée par deux igloos légers et maniables.
2002, Vermont — Un ranger nous conduit au fond des bois et nous fait les recommandations d'usage, pas de feu sauvage, nourriture en hauteur à cause des ours, etc. Il y a un barbecue en dur mais, à longtemps chercher un emplacement dans les parcs nationaux tous complets ce samedi soir, nous n'avons pas eu le temps de faire de courses. Un mini-market nous dépanne en dernière minute de saucisses sous plastique et de chips. C'est l'anniversaire de MH. On avait d'abord pensé restaurant mais, assis en tailleur à l'entrée de nos tentes face au feu, c'est peut-être le meilleur que nous ayons jamais fêté ensemble.
2004, Corse — Monter/démonter est devenu un jeu d'enfant mais il y a un temps pour tout, et le camping sédentaire, non merci.
2006, Lyon — M. part en week-end avec des amis : "Je peux prendre une des tentes ?". L. aussi, Z. bientôt. Au fait, où sont ces tentes aujourd'hui ?
2011, Saint-Just-en-Chevalet — Si la grille d'entrée est ouverte, c'est sans doute que le camping commencera bientôt sa saison. J'entre et je traverse les allées dont le gravillon crisse sous mes pas. Quelques caravanes attendent en silence. Vides, les emplacements semblent étrangement grands. Devant chacun, un écriteau numéroté et une prise électrique. J'imagine que d'ici pas longtemps, des habitués reviendront à la place qu'ils occupent depuis des années. L'après-midi, l'activité se distribuera entre ce côté de la route et l'autre, celui de la piscine à toboggan, du golf miniature et du mini-bar, snack et glaces. Il y aura des siestes et, le soir venu, des apéros et des télés allumées tard. Des campeurs de passage s'arrêteront de temps en temps, sans doute par hasard. Ils se verront attribuer une place qu'ils voudront peut-être changer après avoir jaugé de son exposition ou de son voisinage. S'ils n'arrivent pas trop tard, ils pourront trouver au Shopi d'à côté de quoi faire des grillades.
VOTRE version du camping me donne envie...
RépondreSupprimerzadddie
Entre texte et images, j'ai l'impression d'avoir assisté à un très beau reportage sur le camping au fil des ans, riches d'anecdotes personnelles et d'observations pointues sur les us et coutûmes, les améliorations matérielles, le passage de témoin aux générations suivantes. Les évènements personnels et "plus généraux" se mêlent et se lient dans une narration légère mais toujours si précise.
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