samedi 20 novembre 2010

La maison (5)


Le long de la façade côté jardin, entre précisément la partie d’habitation et l’aile qui abritait l’atelier, courait verticalement une longue fissure. S’il était bien sûr dans la nature des choses que les murs ainsi « travaillent », je ne peux m’empêcher d’y voir un signe, quelque chose comme la matérialisation du temps qui passe et qui marque imperturbablement ses points de ruptures en autant d’avants et d’après irréversibles. D’abord cette ligne de fracture entre la vie « bourgeoise » et celle d’ « artiste », amplifiée lorsque celle-ci n’a plus de raison d’être hors dans le souvenir qu’on en perpétuera — en un étonnant paradoxe — dans celle-là. Et puis toutes les autres que le hasard des liens ou des guerres auront creusées, suivre la tradition pharmacienne familiale à contre-cœur, la lâcher mais ne pas savoir choisir entre musique et peinture, changer de nom à l’ombre de son frère. Lignes de partage pour moi aussi dès l’instant tardif où j’ai commencé à savoir tout cela, mais cicatrice en même temps, d’autant plus mal refermée qu’on ne la laisse pas en paix. Alors cette maison, j’y suis très peu allé, pour de bonnes et de moins bonnes raisons, y repensant parfois de loin, très loin, par images interposées, là une porte sur un jardin par Bonnard ou, ici, l’enfant au piano de Matisse auquel, en prenant cette photo, je tourne le dos. Le MoMA est presque vide en ce matin du printemps 1988, je m’assieds pour dessiner tranquillement la toile. S’il faut un détail, c’est la mèche de l’enfant mais je m’applique à reproduire l’ensemble. Là encore, je ne sais pas si je pense à mon grand-père lorsque je superpose au dessin terminé le profil un peu flou d’un visiteur qui passe. Je referme mon carnet et reste encore assis un moment. Dehors, il pleut sur New York. Je suis bien.

4 commentaires:

  1. Étonnant de saisir, grâce à tes écrits, comme l'évocation des passions des occupants de la maison dessine mieux qu'une longue description dixneuvièmiste le décor et l'ambiance intérieurs. Sans connaître les secrets et ruptures, le lecteur entend la musique, visualise l'atelier, imagine les partitions et la lumière par la fenêtre, sur la toile. Belle réflexion aussi de la rupture, celle-même du temps simple : nous saisissons si peu de choses, limités par notre propre temps. Pourtant, je me demandais en visualisant ton Site Perso d'où te venaient ces talents conjugués, photographie, dessin, écriture. Un début de réponse, peut-être. Belle fin en accord.

    RépondreSupprimer
  2. Arrive "La maison (5)" et je pense encore n'avoir rien à dire, ou plutôt ne rien pouvoir dire.
    Un univers qui m'est tellement étranger, je ne lis que ce qui m'est inconnu, complètement. Et je lis que ça n'est pas "simple", pas si simple...
    Pas simple non plus, d'ignorer ce qui existait pour toi, pour d'autres, qui peut-être n'était pas si lisse que je me plais à l'imaginer, mais dont on avait la connaissance, la possibilité de la connaissance... j'ai mis tant de temps à savoir ce qu'était un violoncelle, tant de temps avant de voir une toile au Louvre où je n'osais pas entrer, tant de temps avant de prendre le métro, ligne 9, pour de Billancourt rejoindre les Grands Boulevards et découvrir enfin le cinéma, seul bien sûr, "Baie des Anges" au Richelieu-Drouot... que ta description ressemble pour moi à un rêve... même pas d'ailleurs parce que tout ce que tu dis (et qui n'est pas une situation "exceptionnelle") je n'en ai découvert l'existence que très tard, trop tard.

    J'arrête là et te dis que j'aime beaucoup "La Maison".

    RépondreSupprimer
  3. C'est sur ce billet, par ce qu'il pourrait être le dernier de la série, tant il ressemble à une conclusion, que j'ai choisi d'écrire.
    D'abord, il y a le texte et ses subtilité proustiennes, saisissant les effluves du temps irrémédiablement passé, s'attachant aux traces, aux failles , aux ruptures.Il y a la construction de ce texte qui depuis cinq chapitres nous guide dans la maison mais surtout dans ta mémoire avec la part de (re) création que cela implique.Il y a la pirouette finale, en forme de métonymie, la mèche de l'enfant pour parler de toi, ... et cette bascule d'un espace-temps à un autre pour conclure et refermer le cahier.
    Enfin les photos, nous laissant voir avec parcimonie des fragments soigneusement choisis mais nous renseignant sur les lieux et les dates...
    Ici, on devine, si je ne m'abuse, les tours de la Défense, et au vu de la cime des arbres, nous sommes peut-être sur le Mont Valérien, du côté de Rueil; mais peut-être , je m'égare.Et s'il s'agit bien de cela, quelques unes ne sont pas encore construites, à cela s'ajoute la lisière des perforations d'un film argentique nous indiquant bien que nous sommes encore dans un autre temps, ni le passé de tes souvenirs, ni le présent de ta narration, mais encore un autre, celui de cette photo, un temps où se mêlent les visions, les impressions, les sensations dans un lointain brumeux.

    RépondreSupprimer
  4. Billet après billet, tu laisses des indices pour ceux qui, comme moi, sont curieux de percer ce mystère certain que tu nous livres. Alors je fais le point, je reviens, comme Franz, sur ce "site perso". J'y re-découvre les oeuvres d'un Henri Franck, pour lequel, il y a peu, tu as pris le temps de faire ces quelques pages html.

    Et soudain, tout s'éclaire à la lumière de ce "Paysage urbain No. 24". Tout est là, tout se tient. Bien plus qu'une maison, c'est bien d'un héritage dont tu nous parles.

    RépondreSupprimer