vendredi 30 août 2013

La vie des livres (20)


Les librairies d'aujourd'hui ressemblent à ces salons de peinture d'autrefois, ces galeries dont l'accrochage étouffant occupait, du sol au plafond, jusqu'au dernier centimètre carré disponible des surfaces sur lesquelles il se déployait. Toiles là-bas et livres ici, mais la même profusion, l"exposition" remplissant tout l'espace en un patchwork d'éléments disparates dont chacun attire plus que l'autre le regard et qui, ensemble, en viennent à se neutraliser mutuellement. À peine a-t-on remarqué celui-ci que l'œil glisse sur celui-là... à quoi bon aller voir l'un ou l'autre de plus près ? Et une belle couverture invite-t-elle à un bon livre ? On croise sur les jaquettes de romans des images délicatement choisies qui sont autant d'invites et de mises en confiance, Stephen Shore par ici pour le dernier Richard Ford, une sempiternelle vague d'Hokusai par là — un peu moins semble-t-il cette année le frais minois des auteures les plus photogéniques, allez savoir pourquoi ? —, mais un roman que l'on identifie à sa couverture illustrée, c'est un mélange des genres ouvrant la porte à un malentendu possible ou à un renversement perceptif, comme pour ces ouvrages anciens dont les réimpressions affichent, en sésame discutable, la photo d'un film récent qui a pu en être tiré. Car un livre n'est pas une image, c'est du temps bien plus que de l'espace, le temps de la lecture, pas plus que celui de l'écriture, ne pouvant se réduire à une instantanéité. Un dessin, un tableau, sont aussi élaborés dans la durée mais ils nous sont donnés à voir dans l'instant, dans une globalité à laquelle seul notre regard peut donner une nouvelle forme de temporalité par l'exploration qu'il en fait. Et l'image photographique repousse encore cette limite, pure captation d'espace, à la fois extensive et presque instantanée. Oublions les images, les titres eux-mêmes sont la barrière cruelle du premier tri. On lit "Ormuz", et bien sûr on est tenté, mais on se souvient de "La théorie de l'information" de l'an dernier et on se surprend à réaliser qu'on l'a oublié si vite qu'on n'a même pas pris le temps de le lire. Chaque titre est un appel, une suggestion nouvelle vers une infinité de possibles que l'on n'aura jamais la possibilité d'explorer, alors on se contente de savoir qu'ils sont potentiellement là et, de n'avoir su choisir, on ressort souvent les mains vides de ces librairies d'abondance où nos pas nous ramènent encore et encore.

1 commentaire:

  1. Pour favoriser la lecture, plus que l'illustration, il me semble que l'aménagement de bars-librairies comme on en voit aux USA feraient davantage pour susciter le plaisir de lire. Et ça serait plus pertinent que la transformation des librairies en magasin à gadgets...
    Le tsunami d'Hokusai est effectivement souvent de service. (Les traducteurs n'auraient-ils pas affaibli le sens du mot vague?) Edward Hopper aussi.
    Quant à l'instantanéité...La première phrase, le premier paragraphe, sont souvent décisifs dans le choix d'un livre.

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