dimanche 9 septembre 2012

Photos que l'on aurait pu prendre (23)

Mai 1995, une petite ville dont j'ai oublié le nom, quelque part entre Bucarest et Brasov. Les trottoirs de l'avenue centrale, naguère défoncés, commençaient à être remis en forme, mais les bâtiments qui la longeaient hésitaient encore entre la décrépitude d'avant la démolition et le clinquant du neuf. Parmi eux, un cinéma à l'abandon avait attiré mon regard et je m'apprêtais à le photographier — comme j'ai pu le faire de tant d'autres cinémas un peu partout — lorsque le Professeur B., qui m'accompagnait dans cette excursion qu'il avait programmée à mon intention, manifesta une surprise sous laquelle, malgré le raffinement un peu suranné de ses manières, il était facile de percevoir une touche de contrariété, voire d'agacement. À quoi bon photographier cette chose sans charme que personne ici ne regrettera ? N'y a-t-il pas mieux à rapporter comme image de ce pays qu'un cube de béton au crépi écaillé ? Et peut-être valait-il mieux en effet que cette photo ne soit pas prise, ou alors pas comme ça, juste en passant…

9 commentaires:

  1. Moralité, lorsque que l'on photographie, vaut être seul.
    Je suis certain qu'un jour ou l'autre, tu repasseras par là, Patrick.

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    1. D'une manière générale, oui bien sûr, il vaut mieux être seul pour photographier. En même temps, dans le cas présent, je crois que je comprends le "feedback" immédiat de celui qui regarde cette photo pas encore prise, qui est potentiellement plus que juste une image.

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  2. "vaut mieux être seul" vous aurez corrigé.

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  3. Tout au moins la solitude photographique qui, le temps du déclenchement place le photographe hors du reste, qui n'est pas la photo, le laissant tout à son affaire...
    Évidemment reste à concilier ça avec la politesse, la courtoisie, le respect envers l'hôte qui attend, sans doute, un tout autre feedback.

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  4. Ce qui me plait dans cette évocation, c'est le mot de la fin, en pirouette : "non, pas comme ça" où j'entends "elle méritait plus d'attention, plus que "ça" justement, ouvrant une belle réflexion sur la pratique.
    Sylvie

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  5. Une confusion viendrait de ce que le "cadre" photographique n'est pas défini - peu dans ce qu'écrit Patrick et pas du tout en ce qui concerne celui de Sylvie.
    Alors je veux bien que cela ouvre une belle réflexion sur un genre, un genre bien précis, bien délimité, celui, en gros, d'une photographie pensée AVANT la prise de vue.
    Mais sinon, il faut distinguer l'avant prise de vue, le juste juste juste avant le déclenchement - date critique, l'événement est peut-être éphémère - et l'APRÈS qui laisse du temps à la réflexion et autres jeux plus ou moins intellectuels, moraux ou stratégiques.
    Dans le propos de Patrick, je ressens, moi (!), à priori la frustration de ne pouvoir déclencher - sauf à déclencher d'autres choses en simultané - et à postériori, l'interrogation du bienfait éventuel de n'avoir "pu" faire cette photographie.

    Sinon, en regardant à nouveau cette photographie que vous connaissez sans doute http://lightbox.time.com/2012/02/22/remi-ochlik/#13 je souris à l'idée du photographe se posant à-priori l'intérêt, le bien fondé ou non de faire la photographie... :-)
    mais il est vrai que cette photographie-là ne produit pas le même type de frisson que la photographie de "salon".

    Donc, coûte que coûte, d'abord la prise de vue, à tout prix, instinctive, et après la réflexion, le choix, montrer/ne pas montrer... et s'apercevoir que l'on s'est trompé ou non, que l'on n'a fait qu'effleurer le propos et peut-être de jeter... on a le temps devant soi (enfin un peu de).

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  6. - Alain, le cadre est clairement posé : ici et maintenant, soit un écrit de Patrick sur un blog.
    - Proposer une photo de guerre comme exemple...disons que ça déborde largement du cadre, exactement comme si je t'avais répondu en proposant une photo publicitaire ou de mode.
    - C'est quoi la photographie de salon ?
    - Tu entends photographie pensée avant, je parle de disponibilité de l'esprit du photographe ( moche expression mais claire ) pour ne pas se satisfaire seulement de tendre le bras et d'appuyer sur le bouton.
    - J'ai fini ;- ), presque : définir ce qui est instinctif ou/et pensé...ça ne va pas être facile; comme les bateaux à moteur propulsés par le moteur mais aussi par le courant.

    Sylvie

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  7. Juste pour préciser. Les impressions que je partage ici n'ont aucune prétention à l'universalité. Ce sont le plus souvent des observations locales en forme de notes subjectives, et parfois des questions dont je me dis que, si elles sont ouvertes pour moi, elles le sont peut-être aussi pour d'autres. Par exemple comme ici, lorsqu'un élément extérieur remet sur le tapis la question de pourquoi (ou pour qui) on photographie... Je ne suis pas sûr qu'il faille vraiment vouloir apporter une réponse trop précise à cette question. Il y a des cas, commande, mode ou guerre, où la question elle-même n'a pas trop de sens j'en conviens mais, quand la pratique est plus quotidienne, se la poser de temps en temps (pour soi, et sans se prendre la tête à deux mains) a ses vertus !

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