lundi 30 avril 2012

Made in France

Son allure pouvait avoir quelque chose de déconcertant. Deux phares comme deux gros yeux entre lesquels plongeait un capot au creux profond dont l'avant dessinait une ligne de sourcils froncés (une tête de dessin animé, finalement), des roues grêles sur lesquelles elle était haut perchée, et puis surtout une lunette arrière à l'inclinaison inversée, particularité que, de toute l'histoire de l'automobile, elle n'aura me semble-t-il partagé qu'avec la Ford Anglia. L'Ami 6 était reconnaissable entre toutes. Un zeste d'originalité mais rien d'ostentatoire, un mi-chemin grand écart entre la 2CV et la DS, une silhouette de figurante anonyme, rurale autant qu'urbaine, qui devint vite familière, se glissant avec naturel dans le décor des années 60. Presque une allégorie de la France classe moyenne des trente glorieuses.
Tout au long de celles-ci, mes parents firent beaucoup de kilomètres. Ni exotisme ni voyages lointains, mais une exploration méthodique de l'hexagone, région après région, département après département, comme s'il s'agissait de cocher dans un grand cahier la liste de ce qu'il ne restait plus à voir. Mon père préparait ses excursions avec des itinéraires précis, des guides cochés et annotés. Sur place, il prenait des photos de monuments, de places, d'églises, … des diapos qu'il rangeait ensuite dans des boîtes en plastique cubiques de couleur rouge orangé, à couvercle translucide, qui s'alignaient dûment numérotées sur des étagères en aggloméré venant à s'incurver au fil du temps. Il achetait aussi à chaque fois des cartes postales, souvenirs systématiques remplissant des albums à l'intitulé factuel et alphabétique qu'il n'ouvrait guère que pour les ordonner.
Que d'Ami 6 dans ces photos d'autrefois ! Leur présence, aujourd'hui aussi incongrue que celle d'un fumeur dans un café, semble n'avoir posé aucun problème au photographe, à se demander même parfois s'il n'aurait pas trouvé une satisfaction particulière à les placer en majesté au milieu de l'image… Mais, au fond, quel est le sujet d'une photographie lorsqu'on l'offre à la lecture sans en rien préciser ? Si l'on sait qu'il s'agit d'une carte postale, on pourra dire, comme il est inscrit au dos, "Beaucaire (Gard) — L'Hôtel de Ville (construit sur les plans de Mansard, le Célèbre architecte du Roi Soleil)" mais, si on ne le sait pas, pourquoi ne pas dire aussi bien "Deux Ami 6 (une berline blanche et un break rouge) sur un parking" ? Polysémie des images. Aujourd'hui le web, et la multiplication non seulement d'elles-mêmes mais aussi de leurs agencements potentiels. Sans doute devrais-je "taguer" ce billet par autre chose que "Cartes postales"… 







1 commentaire:

  1. Au-delà d'une nostalgie certaine, d'un passé personnel délicatement effleuré, dût-on en tirer un enseignement photographique, il faudrait dire que si l'on photographie le réel, alors il n'y a jamais rien à retrancher, rien que l'on regrettera ensuite... il s'agit simplement de s'accommoder de tout cela par un certain ordonnancement lors de la prise de vue.

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