© Claude Nori
Cette photographie de Claude Nori, c'est une de ces photographies dont, de l'avoir vue et revue — pour la première fois en 4ème de couverture de Vacances à l'italienne en 1987, et puis ensuite en bien d'autres occasions, depuis Un été italien en 2002 jusqu'à La géométrie du flirt paru l'an dernier —, je pensais que je la connaissais par cœur, que j'aurais pu la décrire et presque en faire un croquis de mémoire. Et puis je la revois à la Maison Européenne de la Photographie et je découvre — vertu possible du grand format, ou peut-être simple conséquence d'un angle obligé de vision entre deux visiteurs — ce premier plan que je n'avais jamais remarqué jusqu'alors, ce bras à la cigarette qui s'invite dans l'image et la trouble d'un je ne sais quoi. On peut gager que cette intrusion n'a probablement pas été voulue par le photographe au moment de la prise de vue, que celui-ci n'en a peut-être même pris conscience qu'au tirage, avec alors ce mélange possible de regret et de "c'est finalement très bien ainsi", tant c'est une image qu'il n'était par ailleurs pas question de mettre de côté. Et puis on y voit aussi autre chose, quelque chose comme un relais (par ces cigarettes semblables dont la fumée se devine et va se mélangeant) entre cette fille immobile, dont la beauté aux faux airs de Stefania Sandrelli capte avant tout le regard, et le monde qui l'entoure, monde que l'on ne peut qu'imaginer, microcosme mouvant dont d'autres photographies semblent pourtant nous dresser un portrait familier, fragmenté et changeant mais proche, toujours entre l'immobilité et le mouvement, l'attente et l'observation. Cette fille en noir et blanc, on aurait juré que c'était elle que l'on retrouvait en couleurs sur la vidéo super 8 tremblante de l'exposition (une parmi quatre assises sur le dossier d'un banc autour duquel tourne le photographe-cinéaste autant que les ragazzi) et puis non, les dates et les lieux ne collent pas, Sicile 1983 versus Rimini 1982... Et l'Alfa sur laquelle elle est appuyée, nul ne sait à qui elle appartient mais on dirait la même que celle qui apparaît sur une autre image, prise là encore à Rimini, vue basculée d'une jetée où des couples s'éparpillent les yeux dans les yeux. Parfois les mêmes, d'autres fois non, en croyant les reconnaître on a l'impression de les connaître, et on se prend peu à peu à penser qu'on aurait aussi bien pu y être. Entre aujourd'hui et autrefois, le jeu de pistes de ces années heureuses se brouille. Trente ans après, on se demande ce qu'il en est advenu, ce que la vie a pu faire et défaire de ces beautés joyeuses et insouciantes, de ces amours naissantes. Un fragment de silhouette entre dans le champ d'une photographie qui aurait pu nous rester totalement étrangère (au sens d'un espace clos et d'un temps révolu auxquels on serait naturellement extérieur), et c'est au contraire un univers tout ce qu'il y a de plus concret qu'il convoque et fait surgir, presque un bout de notre jeunesse qu'il nous fait toucher du doigt.
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