En transit pour Varsovie où le train du lendemain les conduirait, ils étaient arrivés à Berlin dans l'après-midi, sans point de chute ni la moindre idée d'où en trouver un. La ville, en cet automne 81 où les frémissements venus de l'Est se faisaient insistants, offrait une image d'activité et de désordre pressé (la première photo, prise non loin de la gare, montre au loin les banderoles déployées aux façades d'immeubles squattés et, au premier plan, la chaussée jonchée de tracts d'une manifestation qui vient à peine de se disperser). Ils avaient localisé sans peine un de ces cafés "alternatifs" qui pullulaient alors, avec l'espoir qu'une rencontre les aide à trouver une solution pour la nuit. Leur allemand étant par trop approximatif, c'est en anglais qu'ils s'étaient adressés au barman, lequel leur avait proposé sans autre façon de les héberger (la photo, prise à la volée, ne rend qu'imparfaitement justice à sa moustache et son profil de viking, et pas du tout à sa longue queue de cheval). Nikolaus Kalman (nom facile à retenir) leur avait ainsi donné rendez-vous après son service — ce qui voulait dire pas avant une heure du matin — mais dans un autre bar, en fait plutôt un club de musique dont le nom, oublié, contenait sans doute au moins un "x" et un "u". Lorsqu'ils y entrèrent vers minuit, ils eurent l'impression d'être dans un article d'Actuel du genre "C'est à Berlin que ça se passe" (dommage que la photo soit en noir et blanc, on ne peut qu'imaginer les couleurs fluo des crêtes). Au milieu des cuirs de silhouettes improbables, dans une atmosphère saturée de fumée et les oreilles massées par une musique répétitive et assourdissante, ils se sentaient à la fois totalement étrangers et curieusement bien (mais sans ressentir l'envie de faire des photos). Ce n'est qu'après deux heures que NK arriva, les entraînant de suite à l'extérieur pour les conduire à moto chez lui. La traversée de la ville fut plus cinématographique que photographique, un long plan-séquence enchaînant des rues désertes et le ballet hypnotique de feux réglant dans le vide une circulation fantôme. Lorsqu'ils arrivèrent, c'était dans une rue encore animée dont les maisons, toutes à l'identique, déclinaient leur entrée à l'anglaise, avec une volée de marches conduisant à un entresol et, de part et d'autre, une vue plongeante sur les fenêtres de pièces semi-enterrées. NK habitait en hauteur, les premiers étages étant réservés à des occupations beaucoup plus temporaires. Tout en montant, NK leur présenta brièvement les jeunes femmes en faction sur les marches, qu'il embrassa et qu'ils se contentèrent de saluer. Ouvrant la porte de son appartement, il ne prit pas la peine d'entrer, leur expliqua qu'il avait un autre rendez-vous, qu'ils pouvaient s'installer comme bon leur semblait et qu'il suffirait de claquer la porte en partant au matin. Sur la dernière photo, on voit le mot de remerciements qu'ils griffonnèrent à leur départ et laissèrent en évidence sur la pochette d'un Led Zeppelin.
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