Bucarest, mai 1995
Autant je pourrais expliquer pourquoi j'ai gardé cette photo, autant je ne saurais vraiment dire pourquoi je l'ai prise. Il y a dans la "photographie de rue" un côté "marché aux puces" ou "vide-grenier", au sens où y aller avec une idée précise de ce que l'on espère y trouver non seulement se transforme souvent en déception, mais encore accapare le regard et le ferme en quelque sorte à autre chose de plus inattendu. La différence est quand même qu'une photo de rue ne se marchande pas, quelque chose s'impose et tout va très vite, on verra bien après... Alors, pour une photo prise, combien de "que l'on aurait pu prendre", de découpes virtuelles restées immatérielles, d'instantanés mentaux parfois sitôt oubliés et d'autres fois étonnamment prêts à se rappeler à notre mémoire ? De temps en temps donc, une photo comme réalisation effective d'une potentialité infinie, juste une note prise à la volée d'une réalité qui a bien dû exister puisque la photo en porte la trace, jusque dans ses détails qui avaient pu alors nous échapper...
"La photographie de rue"... sans intention préalable apparemment ?
RépondreSupprimerTu sembles sous-entendre que le déclenchement serait un peu le fait du hasard. Si c'est le cas, sur ce point je dirais différemment, la photo de rue est pratiquement toujours urbaine avec ce que cela comporte de mouvements divers, de bruits, éventuellement de promiscuité et de bousculades.
Photographiant dans ces circonstances je crois (j'en suis convaincu en réalité !) qu'existe une "vision globale" qui permet au photographe de percevoir même confusément ce qui est photographié, surtout cette fameuse organisation de l'espace et des mouvements à l'intérieur de celui-ci. Donc du hasard de situation, mais pas de prise de vue.
Si tu parles de "note prise à la volée" il ne faudrait pas croire qu'il suffit, par beau temps, sortir le nez au vent à la pêche photographique... la photographie de rue est épuisante, de tension, de disponibilité (être seul est indispensable)... il faut se colleter au réel.
Il y aurait beaucoup à dire, entre autres choses que photographier une affiche avec, en clin d'œil un personnage ayant à voir avec elle, ne participe pas vraiment au genre, ni même à la photographie ;)
Mais je ne comprends pas pourquoi ce propos dans "les photographies que l'on aurait pu prendre"... puisqu'elle (celle-ci) a été prise...
Il faudrait ajouter quel sens peut prendre la photographie de rue après la prise et puis aussi parler de celle-là que tu proposes et qui va bien dans le sens de mon propos...
@Alain
RépondreSupprimerSans doute me suis-je exprimé de manière un peu trop lapidaire ou imprécise car, sur le fond, je crois que nous sommes parfaitement d'accord. La part de hasard inhérente à la "street photography" (du moins par mon expérience, qui ne vaut que ce qu'elle vaut) n'est pas celle du déclenchement mais, comme tu le dis, de la situation. Moi aussi, je crois qu'il y a une question essentielle de disponibilité, d'état de réceptivité, qui fait qu'on perçoit, même confusément, l'espace plus qu'on ne l'analyse, et que l'on "sent" quand la photo est là. Je voulais juste dire (du moins pour moi encore, sans prétendre à aucune valeur d'universalité ou d'autorité) que tout va très vite, qu'on répond à une sorte d'instinct et qu'en revoyant plus tard cette "note prise à la volée", il est possible d'y trouver des éléments dont on n'avait pas forcément une conscience aiguë à la prise de vue (et le "plus tard" du temps de l'argentique avait un sens fort différent de la vérification quasi-immédiate sur l'écran d'un APN, mais c'est une autre histoire...). Pour cette photo, c'est bien sûr le fait que la femme au balai fixe son regard dans ma direction à l'instant même où je déclenche qui rajoute une part d'incontrôlé dans une image dont je pensais par ailleurs que les éléments étaient bien en place... Quant à la catégorie, bien sûr cette photo a été prise, mais je la voyais aussi comme une ouverture vers d'autres, restées potentielles (à la réflexion, c'est un peu dur en fait d'inclure des photos dans une catégorie pareille...).