Paris, 21 octobre 2014
Au début, on lit sur les murs des affirmations comme « Parfois, c’est comme si […] le monde était une scène pour laquelle j’ai acheté un ticket. Un grand spectacle, mais où rien ne se produirait si je n’étais pas sur place avec mon appareil. » Ou encore la citation classique : « Le fait de photographier une chose change cette chose. Je photographie pour découvrir à quoi ressemble une chose quand elle est photographiée. » Une vision finalement presque quantique de la réalité, version interprétation de Copenhague entre Bohr, Heisenberg et chat de Schrödinger : il est possible qu’il y ait un en-soi des phénomènes pré-existant à l’observation que l’on en fait, mais c’est quelque chose qui nous est par principe inaccessible ; et quand bien même ce ne serait pas le fait de porter notre regard sur elles qui ferait exister les choses, la seule connaissance que l’on peut espérer en acquérir est, en passant par l’observation, le résultat d’une interaction entre ce que l’on mesure (ou regarde) et ce qui est mesuré (ou regardé).
D’un point de vue pragmatique et opérationnel, le monde objectivable est une sorte de co-création permanente…
Et puis, plus loin, on lit sur un autre mur ce commentaire : « Au cours de ses dernières années, Winogrand a remis à plus tard le soin de développer ses pellicules et de trier ses planches-contact en faveur de l’acte même de photographier. À sa mort, il laissait derrière lui environ 2 500 rouleaux de pellicule exposée, mais en l’état, et 4 100 rouleaux développés, mais qu’il n’avait pas examinés : le travail de ses six dernières années. » 6 600 rouleaux, soit environ 240 000 photos qu’il n’aura jamais regardées et dans lesquelles il n’aura pas cherché à découvrir à quoi ressemblent toutes ces choses qu’il aura pu photographier.
Mais aussi, comment faire quand on voit déjà sur les dernières planches-contact qu’il a annotées, parfois de façon lâche, la fuite en avant de ses prises de vue toujours plus nombreuses, boulimie d’images et séquences en rafale tendant à saturer le temps ?
Une photo arrête le temps mais le temps passe, et il y a toujours une autre photo à faire. Arrive un moment où entre prendre des photos ou regarder celles déjà prises, il faut choisir. Winogrand, dont on peut imaginer que, se sachant condamné, il avait compris qu’il ne pourrait jamais les revoir, a choisi d’offrir aux autres les images d’un monde qui sans lui n’aurait peut-être pas existé.
[Garry Winogrand au Jeu de Paume]
Au début, on lit sur les murs des affirmations comme « Parfois, c’est comme si […] le monde était une scène pour laquelle j’ai acheté un ticket. Un grand spectacle, mais où rien ne se produirait si je n’étais pas sur place avec mon appareil. » Ou encore la citation classique : « Le fait de photographier une chose change cette chose. Je photographie pour découvrir à quoi ressemble une chose quand elle est photographiée. » Une vision finalement presque quantique de la réalité, version interprétation de Copenhague entre Bohr, Heisenberg et chat de Schrödinger : il est possible qu’il y ait un en-soi des phénomènes pré-existant à l’observation que l’on en fait, mais c’est quelque chose qui nous est par principe inaccessible ; et quand bien même ce ne serait pas le fait de porter notre regard sur elles qui ferait exister les choses, la seule connaissance que l’on peut espérer en acquérir est, en passant par l’observation, le résultat d’une interaction entre ce que l’on mesure (ou regarde) et ce qui est mesuré (ou regardé).
D’un point de vue pragmatique et opérationnel, le monde objectivable est une sorte de co-création permanente…
Et puis, plus loin, on lit sur un autre mur ce commentaire : « Au cours de ses dernières années, Winogrand a remis à plus tard le soin de développer ses pellicules et de trier ses planches-contact en faveur de l’acte même de photographier. À sa mort, il laissait derrière lui environ 2 500 rouleaux de pellicule exposée, mais en l’état, et 4 100 rouleaux développés, mais qu’il n’avait pas examinés : le travail de ses six dernières années. » 6 600 rouleaux, soit environ 240 000 photos qu’il n’aura jamais regardées et dans lesquelles il n’aura pas cherché à découvrir à quoi ressemblent toutes ces choses qu’il aura pu photographier.
Mais aussi, comment faire quand on voit déjà sur les dernières planches-contact qu’il a annotées, parfois de façon lâche, la fuite en avant de ses prises de vue toujours plus nombreuses, boulimie d’images et séquences en rafale tendant à saturer le temps ?
Une photo arrête le temps mais le temps passe, et il y a toujours une autre photo à faire. Arrive un moment où entre prendre des photos ou regarder celles déjà prises, il faut choisir. Winogrand, dont on peut imaginer que, se sachant condamné, il avait compris qu’il ne pourrait jamais les revoir, a choisi d’offrir aux autres les images d’un monde qui sans lui n’aurait peut-être pas existé.
[Garry Winogrand au Jeu de Paume]
J'ai particulièrement apprécié ce post; l'analogie est vraiment bonne, très belle analyse, et comme toujours, très bien écrit.
RépondreSupprimerMerci de cette mise en lumière (ondulatoire & corpusculaire)
C.
Merci C. !
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