jeudi 26 janvier 2012

Rétroviseur

© Marie-Hélène Dellon-Flandrin

Il y avait les familles Peugeot, les familles Citroën, les familles Renault. Nous (quand j'étais enfant), c'était Renault. Une 4cv pour commencer, puis vite la montée en grade avec une Dauphine. Un peu plus tard, la Dauphine est remplacée par une R8, plus carrée, plus moderne, un modèle sans prétention mais avec un je ne sais quoi de tonique et d'un peu Astérix (la nôtre était gris métallisé mais, après tout, c'était presque la même qui, Gordini, bleue avec deux bandes blanches courant du coffre arrière au bout du capot avant en passant par le toit, gagnait tous les rallyes du moment !). La suite de l'ascension se fait modeste. C'est d'abord une R10 blanche passe-partout, quelque chose d'un peu quelconque d'où je n'avais pas envie que l'on me voit descendre lorsqu'on me déposait à cette école plutôt chic et pas vraiment de mon monde, où le ballet était davantage celui des DS (rien à voir cependant avec l'époque où c'était mon oncle qui, une fois par semaine, venait me chercher dans sa Frégate...). C'est ensuite une R12 orange et c'est tout, nous n'atteindrons jamais le Graal de la R16. Lorsqu'ils se retrouveront vraiment seuls et qu'il faudra remplacer la R12, mes parents se retourneront vers des R5. La dernière sera usée jusqu'à la corde et, quand mon père ne pourra plus conduire, personne n'en voudra. Elle finira dans une casse de banlieue où nous irons ensemble, moi conduisant en espérant pouvoir aller jusqu'au bout sans que les freins ne lâchent et redoutant qu'elle ne cale sans pouvoir redémarrer. L'affaire faite, il fallut rentrer en bus. Nous avons longtemps attendu à un arrêt semblant posé au hasard le long d'une route nationale au trafic incessant, la zone industrielle d'un côté et des champs cultivés de l'autre. J'avais insisté pour y aller plutôt que de faire embarquer la voiture en ville, car je caressais l'espoir que nous pourrions profiter d'être seuls, une fois n'était pas coutume, pour discuter un peu, mon père et moi, mais nous sommes rentrés en silence.

10 commentaires:

  1. Au départ il y a une photographie sur laquelle on "tombe", par hasard ou non. Cet instant sera le point de départ d'une "histoire de mémoire" plus ou moins précise, plus ou moins évoquée par la photographie.
    Ensuite le film se déroule, plus ou moins long, plus ou moins précis, à vitesse variable.
    Je remarque que ce type de propos revient assez périodiquement, chez certains, comme une nostalgie et/ou une certaine mélancolie.
    Il me semble que tu fais "partie" de cette "tendance" (pauvreté de mes mots... il me faudrait travailler ça un peu... mais le temps !) avec d'autres dont je mets les billets, qui me semblent avoir un rapport, en liens :

    http://bloghistoiresdevoir.blogspot.com/2012/01/lil-au-beurre-noir.html
    http://www.francoise-poulin-jacob.com/article-temps-imprime-97136204.html
    http://brunoh-deambulations.blogspot.com/2012/01/grand-bain_21.html

    D'autres le font peut-être, sans en dire mot... mais les photographies ne sont pas muettes pour autant...

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    1. A l'origine, il y a la photo ou le texte?A l'origine il y a un vécu puis une mémoire. Après chacun en fait ce qu'il veut.D'aucuns les cachent ou les oublient, d'autres les font vivre en tirant tout ce qui est possible de leur "substantifique moelle". Comme tu l'as constaté , je fais partie de ceux-là.
      La photo devient dans ce travail sur la mémoire un instrument .De là on peut entrer dans ce débat que tu sembles vouloir ouvrir Alain, sur le statut de la photo sortie de son contexte sur laquelle on "colle" un texte.
      C'est , je pense , le désir de l'auteur qui légitime cette pratique qui pour ma part n'est pas une "tendance" mais une nécessité.Merci Alain d'avoir ouvert la porte de ce débat.

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    2. Je ne faisais qu'une remarque de "simple lecteur"...
      La photo devient un instrument... comme les mots que l'on va plus ou moins bien assembler (tout le monde n'est pas doué, mais est-ce nécessaire dans ce cas-là - Depardon s'exprimant sur sa mère, ce n'est pas de la grande littérature mais une sincérité exprimée).
      Je ne dis pas que la photo est sortie de son contexte, ni qu'on lui "colle" un texte, mais qu'à chaque fois, la photo est présentée en premier, que le texte suit (Marie-Dominique me faisait remarquer lors de mon premier blog - il y a cent ans - que plaçant l'image après le texte, je donnais l'ordre de lecture et que la photo venait à-propos du texte).
      La photo "semblerait" donc ressusciter/révéler un moment, qu'il soit enfoui ou non dans notre mémoire.
      Rien n'est "collé" à rien. Ce sont deux voies (image/texte) qui vont de concert sans que je leur accorde une préférence, à l'une ou à l'autre, à-priori...

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    3. J'oubliais d'ajouter qu'il fallait comprendre par "tendance" le simple fait que je l'ai remarquée... une "tendance" dans mes "lectures" en somme.

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    4. Avant ? Après ? C'est une bonne question, d'autant qu'ici il a failli ne pas y avoir de photo du tout... Pour tout dire, la petite "histoire de mémoire" était première, mais j'hésitais à la poster seule. Par association d'idées, j'ai finalement repensé à cette image (d'emprunt) que j'ai réussi à retrouver et qui me semblait bien s'accorder du propos. Ce n'est pas à proprement parler une illustration (comme l'a bien noté Nicolas), plutôt une évocation parallèle, une note complémentaire. Et l'ordre de la présentation, assujetti à la séquentialité obligée du blog, témoigne surtout de la force de l'habitude...

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  2. Privilège de l'âge mûr ? Peut-être un petit peu puisqu'il faut "avoir vécu" pour pouvoir un jour prendre le temps de se retourner. Pourtant, sans vouloir sombrer dans le jeunisme, du haut de ma trentaine fleurissante, il m'arrive également d'éprouver cette nostalgie, cette mélancolie.

    Même si l'on devine que le texte et la photo parlent chacun à leur manière de deux époques distinctes, leur association subtile permet de mettre l'un et l'autre en valeur. Tout ceci est très beau.

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  3. Je reviens compléter le commentaire peut-être trop égocentré que j'ai laissé ce matin pour parler cette fois du billet de Patrick.La photo en elle-même est belle, douceur et protection du regard maternel sur l'enfance qui dort.Le texte est beau (même si je ne m'y entend guère en en catalogue des marques automobiles). Chaque nom de code (lettre + n°) identifie un véhicule mais surtout pour toi Patrick un souvenir( ou un ensemble de souvenirs) qui prend soudain corps.La conclusion de ce catalogue Renault est magnifique, une phrase "à point";Cette avidité à faire transpirer chaque détail du passé devient le discours qui ne s'est pas établi entre ton père et toi.
    Alors pour continuer la discussion , ce texte avait-il besoin d'une photo? Non bien sur. En devenant "illustration" cette photo perd de sa personnalité.Mais en devenant illustration , on y lit des choses qui seraient peut-être passées inaperçues si la photo avait été présentée seule.

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    1. Au sujet de la séparation texte/image.
      Sans être affirmatif, je pense que le texte ET l'image, ici, marchent ensemble.
      Bien sur le texte seul aussi peut se suffire à lui même, mais ici, pour moi, l'ensemble est indissociable.
      En regardant l'image je me suis revu instantanément dans la Simca de mon père. Comatant entre deux nausées, après un dimanche passé chez mes grands parents.
      La suite, je l'ai retrouvé dans le texte. J'ai même senti l'odeur de plastique qui me foutait l'estomac en vrac.
      L'image n'avait été qu'un préambule à une autre image celle là textuelle.

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  4. J'aime beaucoup ce billet, j'aime la photo, j'aime le texte, et j'aime qu'il relève un peu de l'entreprise familiale - le père éditeur, la mère photographe & les enfants modèles -, et de ce qu'il boucle avec ta propre enfance et la mention de ton père. La vie de famille jalonnée de ses voitures familiales, qui grossissent avant d'à nouveau rétrécir, et ce moment singulier, qui sonne comme un passage de témoin, d'en accompagner cérémonieusement le dernier modèle à la casse.

    C.

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  5. Dès que j'en ai l'occasion, je te fais faire un tour dans ma R5 rouge que j'utilise depuis ...25 ans !

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