Prendre le métro m'offre des sentiments contradictoires. Je ne demande rien à la réalité, mais la réalité s'impose à moi en offrant à mon regard ses propres démultiplications. Et le métro, qui les exacerbe, m'en tient captif.
La fille à côté de moi est bras nus et je remarque au creux de son coude un sparadrap fixant une boule de coton. Elle vient sûrement de se faire faire une prise de sang, rendez-vous à jeun avant d'aller au boulot, pas de petit-déjeuner, peut-être un croissant en sortant du labo. Plus tard, elle retirera le sparadrap qui soulèvera la peau si le mouvement est précautionneux, puis un coup sec et ne restera qu'un point rose un peu plus foncé.
La fille à côté de moi, avec son sparadrap au creux du coude, n'est qu'un exemple. J'aurais pu tout aussi bien parler de cette vieille dame un peu voûtée à qui plusieurs offrent leur place assise, madame, madame, asseyez-vous, mais non ce n'est pas la peine je descends à cet arrêt. Et elle reste debout dans la travée, je vois ses cheveux blancs par au-dessus lorsqu'elle passe devant moi, elle sort à petits pas, les portes se referment.
Ou encore de ces petits signes qui brouillent l'idée qu'on se fait des gens en les voyant trop vite. Le diamant minuscule que je remarque, lorsqu'elle se retourne, sur l'aile du nez d'une fille au regard très doux. Le tatouage qui apparaît au bas du dos de cette quadragénaire à l'allure si classique — chignon, chemisier et pull-over — lorsqu'elle se penche pour fouiller le sac entre ses pieds.
Où que se pose mon regard, quelque chose l'accroche, parfois l'accapare. À trop se laisser prendre, tout mérite attention, à tout instant. Pas une seconde sans qu'une photographie potentielle ne se donne à voir. Sans parler de la vie qui va et dont la seule permanence est l'évidence de son propre changement, la matérialité même du monde décline des horizons inépuisables.
Lorsque je prends le métro, mon regard s'y perd. J'imprime mentalement un flux continu d'images qui n'existeront jamais comme preuve arrêtée d'une perception pourtant bien réelle, et je me demande où pourrait se situer la singularité de l'une ou l'autre de ces images. Petit à petit, la frontière se brouille pour moi entre ce qui mériterait d'y porter intérêt et un tout-venant qui serait à ignorer.
Quel sens à enregistrer, recopier et dupliquer la totalité du monde ?
La fille à côté de moi est bras nus et je remarque au creux de son coude un sparadrap fixant une boule de coton. Elle vient sûrement de se faire faire une prise de sang, rendez-vous à jeun avant d'aller au boulot, pas de petit-déjeuner, peut-être un croissant en sortant du labo. Plus tard, elle retirera le sparadrap qui soulèvera la peau si le mouvement est précautionneux, puis un coup sec et ne restera qu'un point rose un peu plus foncé.
La fille à côté de moi, avec son sparadrap au creux du coude, n'est qu'un exemple. J'aurais pu tout aussi bien parler de cette vieille dame un peu voûtée à qui plusieurs offrent leur place assise, madame, madame, asseyez-vous, mais non ce n'est pas la peine je descends à cet arrêt. Et elle reste debout dans la travée, je vois ses cheveux blancs par au-dessus lorsqu'elle passe devant moi, elle sort à petits pas, les portes se referment.
Ou encore de ces petits signes qui brouillent l'idée qu'on se fait des gens en les voyant trop vite. Le diamant minuscule que je remarque, lorsqu'elle se retourne, sur l'aile du nez d'une fille au regard très doux. Le tatouage qui apparaît au bas du dos de cette quadragénaire à l'allure si classique — chignon, chemisier et pull-over — lorsqu'elle se penche pour fouiller le sac entre ses pieds.
Où que se pose mon regard, quelque chose l'accroche, parfois l'accapare. À trop se laisser prendre, tout mérite attention, à tout instant. Pas une seconde sans qu'une photographie potentielle ne se donne à voir. Sans parler de la vie qui va et dont la seule permanence est l'évidence de son propre changement, la matérialité même du monde décline des horizons inépuisables.
Lorsque je prends le métro, mon regard s'y perd. J'imprime mentalement un flux continu d'images qui n'existeront jamais comme preuve arrêtée d'une perception pourtant bien réelle, et je me demande où pourrait se situer la singularité de l'une ou l'autre de ces images. Petit à petit, la frontière se brouille pour moi entre ce qui mériterait d'y porter intérêt et un tout-venant qui serait à ignorer.
Quel sens à enregistrer, recopier et dupliquer la totalité du monde ?
On ne restitue jamais la totalité du monde.Juste quelques fragments, que notre sensibilité interprète à sa façon ,singulière et unique.
RépondreSupprimerCoïncidence, le Libé du jour qui — Arles oblige — fait la part belle à la photo, pose à chacun de ses interviewés la question suivante : "Que pensez-vous de la prolifération des images ? ".
RépondreSupprimerSans le savoir et par anticipation, ce billet posté hier soir procédait de la même interrogation et aurait pu être ma réponse à la question (à supposer qu'on me l'ait posée...).
Difficile de poser la question du sens, car qu'est-ce qui a sens, réellement ? J'aime la réflexion de Leibniz sur le bruit des vagues et l'incapacité de nos sens à saisir que ce bruit-là est constitué par le mouvement de chacune des gouttes constituant la vague. Nous sommes incapables de différencier une goutte individuellement et nous entendons un ensemble.
RépondreSupprimerPeut-être alors, saisir une photo du creux du bras de la jeune fille, les cheveux blancs de la femme âgée, est comme tenter de capter une goutte au milieu de la vague, la différencier, l'individualiser, lui rendre sa particularité, la reconnaître, même mal, même partiellement.
La prolifération des images ne me semble pas une question si juste. Oui, il y a prolifération, c'est la marque de notre temps semble-t-il, comme prolifération de mauvais romans. Peu importe, elles disparaissent aussitôt qu'elles sont apparues, - nous zappons - et de cette prolifération surgit soudain un jeune photographe talentueux, différent, qui nous subjugue, dont la vision nous accroche. Cette prolifération est aussi une chance pour les jeunes photographes professionnels de se faire connaître.
Et le photographe "amateur" dans tout cela ? Et bien, il nous parle de lui, de son monde, et c'est une chance de l'écouter.
Finalement, photographier est peut-être la manière de constituer un territoire pour les âmes nomades.
;)
LA question, admirablement résumée dans ta dernière phrase...
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